Ép : Eph 4, 1-6 ; Év : Mt 22, 34-46.
En guise de sermon, j’aimerais vous lancer, comme ça, quelques instructions s’inspirant de l’Évangile, de l’épître et du baptême de ce jour.
Nous venons de baptiser Patrick-Denis et ici, je voudrais faire une remarque : ces derniers temps, on discute souvent du baptême des enfants, disant que : « au moins les parents et les parrains doivent être instruits », que toute la préparation intellectuelle et morale est indispensable. Mais, quand vous assistez au sacrement de baptême d’un bébé, ne croyez pas que ce sacrement n’a, comme valeur, que ce que vous pensez, ce que vous croyez, vos convictions personnelles. Non, le sacrement est objectif, il agit par la Grâce de Dieu. Quand le prêtre chasse un démon, il chasse un démon ; quand il plonge l’enfant dans les eaux baptismales, les fontaines baptismales, à ce moment-là, réellement, l’enfant meurt et ressuscite en Christ…Quand l’enfant reçoit le Saint-Esprit pendant la confirmation, c’est sa pentecôte personnelle. Si l’on regarde attentivement les textes de l’Évangile, on voit que les miracles s’accomplissent de différentes manières : les uns surtout, par la foi de celui qui demande la guérison à Dieu et à qui Jésus dit : ta foi t’a sauvé. C’est la conviction, c’est la force de la foi d’un croyant, d’un groupe de croyants qui arrache au drame. Il y a d’autres miracles pour lesquels la participation d’un malade ou d’un mort n’existe pas. Jésus arrête le cercueil d’un jeune homme sans que personne ne le Lui demande ; Il ne se préoccupe pas du fait que la mère croit ou si la foule ne croit pas : Il arrête et Il ressuscite.
Troisième cas : le malade, on ne sait s’il croit ou non, s’il participe consciemment ou non, mais c’est la foule qui croit. En fait, si tous les sacrements, toute la vie spirituelle sont liés avec cette rencontre, avec la puissance ou la grâce divine agissante et notre participation par la foi consciente, il ne faut pas oublier que, dans la réalisation, il y a, ou bien la foi arrachée à Dieu, ou bien Dieu agit sans notre participation active.
Je dis cela parce que, quand nous baptisons un enfant – je ne parle pas d’aujourd’hui ! – et que parents et parrains sont un peu indifférents, que c’est un peu une routine, qu’il faut le faire, quand la conscience manque, il ne faut pas penser que le sacrement n’est pas efficace, car l’Église croit. Je ne veux évidemment pas dire, avec cela, que les parents, les parrains ne doivent pas pénétrer de mieux en mieux, comprendre les mystères du baptême ou des autres sacrements dans l’Église et l’enseignement de l’Église. J’appelle à la plus grande participation consciente de la volonté, du cœur, de l’intelligence à la vie religieuse. Mais d’autre part, ne pensez pas que, parce que vous participez mal à la liturgie, celle-ci n’est pas dans la plénitude de sa force. Bien entendu, vous ressentez immédiatement si un prêtre célèbre la liturgie étant rempli de prière, de sainteté : cette liturgie vous bouleversera plus qu’une autre faite par quelqu’un qui célèbre d’une manière formelle, indifférente. Mais l’augmentation de cette impression de ce qui est donné, est plus subjective que réelle : le sacrement de l’Église demeure toujours. J’insiste sur ceci à cause d’une certaine tendance, ces derniers temps, de certains pour qui « ce qui n’est pas conscient n’est pas réel ».
C’est une remarque, encore une fois !
Non que nous ne soyons pas appelés à être des chrétiens conscients, fidèles, mais nous devons progresser dans la connaissance de la Vérité. Le malheur vient si nous pensons que tout dépend de nous, car il y a toujours une mystérieuse rencontre entre la puissance divine et notre participation par notre foi. C’est le premier point.
Le second est que le baptême suivi de la confirmation est une fête admirable et je veux que vos cœurs soient remplis d’allégresse et de joie, que vous participiez au baptême de cet enfant. Je bénis ses parents et me réjouis avec eux.
Troisièmement et d’une manière différente, l’apôtre Paul dit que notre lutte, notre guerre doit être, non contre les puissances de chair et de sang, mais contre les esprits sous ciel. Regardez notre vie spirituelle : la vraie difficulté de cette vie spirituelle, de la vie tout court, est justement ce monde des esprits sous ciel, qui ont un aspect spirituel mais qui sont psychiques, douteux.
Sont-ils des esprits, des mouvements de notre âme ? La guerre essentielle se situe, ni dans la matière, ni dans l’esprit, mais sur ce plan psychologique, équivoque, des esprits sous ciel.
Si l’on écoute attentivement les Évangiles, on voit que le Christ prévoit ces mouvements de l’âme qui laissent certaines choses troubles, tout en étant lumineuses, tout en étant nobles sans l’être parfaitement ; ce monde trouble, mélangé, sous ciel ; des anges qui ne sont pas vraiment des anges mais des démons, tout en ayant un aspect angélique ; des lumières qui sont comme des lumières, mais qui n’en sont pas.
Tout notre travail spirituel de lutte avec foi, fermeté et, comme dit l’apôtre Paul, avec la grâce du Saint-Esprit, consiste à viser ce monde qui est justement entre l’esprit et la matière. Ce monde trouble – s’il était seulement mauvais ! – a souvent les apparences de choses nobles, élevées, mais avec des virus… et notre âme est troublée, les civilisations sont déroutées et c’est ici qu’entre l’épée de la parole de Dieu, spirituelle, qui doit couper, comme dit l’épître, le ciel et le sous-ciel, le spirituel de ce qui n’en a que l’apparence. Cette lutte est permanente et donne à l’être humain la vigilance et la vraie connaissance.
Encore une remarque : l’Évangile parle de cette parabole du roi qui pardonne les dettes, mais celui à qui il a été pardonné, ne veut pas pardonner une petite dette d’un de ses subordonnés qui est son frère.
On peut dire que c’est une parabole, un commentaire des paroles de la prière dominicale : « remets-nous nos dettes comme nous remettons à nos débiteurs ». C’est vis-à-vis de nos frères que nous pouvons être divins. Pardonner, c’est divin ; exiger, c’est humain. C’est de la façon avec laquelle nous agissons vis-à-vis de nos frères que Dieu jugera. Ce n’est pas un esprit de calcul, mais si nous sommes divins, c’est-à-dire si nous pardonnons à nos frères, Dieu nous pardonnera. Aimons nos frères comme Dieu nous a aimés. Habituons-nous sur terre à la vie divine ; car si nous n’avons pas, j’ose dire, la psychologie de Dieu, si Lui pardonne et si nous ne pardonnons pas, comment pourrons-nous vivre avec Lui ? Nous serons rejetés, non par Lui, mais par nous-mêmes ! Qui peut vivre avec quelqu’un qui a une autre psychologie que la sienne ? Dieu est pardon et nous ne pardonnons pas à nos frères. Si nous n’avons pas le pardon dans notre âme, nous sommes séparés de Dieu. Si nous n’aimons pas, Dieu est amour et nous serons séparés de Lui, étranger à Lui. Voilà pourquoi, pendant la prière dominicale, lorsque nous prononçons ces paroles : « et remets-nous nos dettes… », nous devons, non pas nous arrêter, mais dire intérieurement : je pardonne, nous devons faire un acte en plus de prononcer les paroles, car dans ces paroles de la prière dominicale, il y a toute la loi profonde, unique de la communauté de l’Église. C’est un lieu où le frère pardonne à son frère parce que Dieu a pardonné.
Ceux qui ont entendu hier soir le discours de saint Jean Chrysostome peuvent encore plus profondément vivre ce que je viens de vous dire. Que Dieu vous bénisse ! Amen.
** Homélie du 27 octobre 1968 – D’après la transcription d’un enregistrement audio **